ANGUIS IN HERBA - Le serpent sous l'herbe

10 juin 2012

Exclusif : Rencontre avec Nikos Salingaros.

Lors de la présentation du nouveau projet City-Mall, une personne s'était discrètement invitée à l'Harmonie. Il s'agit de Nikos Salingaros, célèbre théoricien de l'architecture dont j'ai déjà relaté ses opinions sur une précédente version du projet dans un article de juillet 2010. Cette fois-ci, le professeur Salingaros m'a fait l'honneur de me rencontrer pour me confier son opinion à propos du projet qui nous a été présenté lundi dernier.

Mais avant tout, je vais vous le (re)présenter. Nikos A. Salingaros est urbaniste, théoricien de l'architecture, et professeur au département de mathématiques appliquées à l’Université du Texas à San Antonio. Auteur de plus de cent articles scientifiques, il est aussi un des figures-clés dans le mouvement de la nouvelle architecture et du “New Urbanism”. Ses livres: "Anti-architecture et Deconstruction", et "A Theory of Architecture" définiront le processus pour l'environnement construit selon des règles humaines, non artificielles et durables. Nikos Salingaros est reconnu comme étant le onzième spécialiste mondial en théorie de l'urbanisme.

Voici donc l'opinion du professeur Salingaros sur les travaux de City-Mall :

Que ce soit dans sa première ou dans sa deuxième version, le projet est beaucoup trop grand. Pas seulement pour l'endroit où ils vont le placer mais pour la ville de Verviers. Parce que la ville a une culture historique, urbanistique et architecturale,  les deux projets sont d'une échelle complètement hors normes. Ils donnent l'impression que ce sont des projets dessinés ailleurs, dans un bureau qui n'a pas connaissance de la culture de Verviers, et ils ont imposés ici un simple terrain commercial. Les concepteurs du projet ne montrent pas la capacité de pouvoir intégrer du commerce dans le tissu urbain verviétois. Peut-être qu'ils font du mieux qu'ils peuvent mais ils n'en montrent pas la capacité et la connaissance des règles d'urbanisme qui ont été développées lors des deux dernières décennies pour construire un projet à l'échelle humaine.
L'idéal est de construire un urbanisme qui s'intègre au mieux à une culture locale, à la localité, au climat mais dans ce projet, je ne vois rien de ça. Je vois dans ce projet quelque chose de générique, qui maintient une fidélité aux formes industrielles de l'Allemagne des années 1920, et que l'on a reproduit pendant un siècle partout parce qu'il s'agit d'un type de construction très bon marché pour l'entrepreneur. Mais de Buenos Aires à Pékin, c'est la même forme typologique élémentaire. La conception de ces bâtiments en cube de verre et d'acier perdent de l'énergie et ils s'autodétruisent en vingt ans car ils ne constituent pas une forme de construction permanente, durable. Il n'existe aucun moyen de pérenniser ce type de construction. Malheureusement, la plupart des bureaux d'architecture on seulement appris à réaliser ce genre de typologie et ils ne sont pas capables de faire autrement.
La première présentation de ce plan (NDLR: le premier projet Foruminvest qui couvrait la Vesdre)que j'ai vue me paraissait déjà monstrueuse, pas seulement par sa taille hors échelle, mais par sa typologie complètement étrangère à la culture verviétoise, à la culture belge, et constituait une version extrêmement négative de l'urbanisme. J'étais alors étonné que des commerçants soutenaient ce projet dans l'espoir d'attirer les clients au centre de la ville. Mais ce genre de construction n'attire pas les gens, il les repoussent parce que c'est terriblement laid. Seuls quelques individus ayant une idée abstraite de la conception de la modernité faite de verre et d'acier pourraient être intéressés. Ce type de typologie soit-disant moderne, et qui date d'un siècle déjà, laisse une impression neutre ou repousse les gens parce qu'il présente un aspect anti biologique. La pire chose que j'ai retenu du premier projet, et je tiens à parler de ce projet car c'est important pour comprendre le dernier projet, c'était le dénigrement de la rivière puisque ce projet l'éliminait en en faisant un égout souterrain. Il s'agissait d'une gifle donnée à la culture verviétoise, qui s'est fondée depuis des centaines d'années sur la Vesdre, et était totalement contre tout esprit commercial parce qu'il faut développer les connections avec la rivière et surtout ne pas la condamner.
En ce qui concerne le projet présenté ce lundi, il essaie de respecter la rivière et de ne pas la couvrir, néanmoins cela ne montre aucun amour pour la rivière étant donné le refus de connexion à la rivière.  La rivière reste toujours une simple ligne sur un plan. L'équipe qui a élaboré ce projet ne fait aucun efforts pour se connecter à la rivière. Verviers pourrait pourtant avancer en utilisant la rivière, en développant des liens étroits et urbanistiques avec elle pour que cela puisse porter les gens jusqu'à la Vesdre par beaucoup plus qu'une simple promenade. Une promenade le long de l'eau ne signifie presque rien. On pourrait développer un usage mixte de berges, de tout petits  jardins, de petites places ouvertes et publiques, un peu de commerces à très petite échelle tout le long de la rivière. Cela pourrait être un moyen d'attirer non seulement des riverains mais des touristes. Malheureusement, je ne vois rien de cela. Je ne vois qu'une conception industrielle d'un bloc qu'ils présentent comme une amélioration du premier projet mais qui ne considère la rivière que comme une ligne sur un plan. C'est dommage de dépenser tant d'argent pour ne pas profiter de la rivière. Il est aussi décevant de constater la hauteur de ce bâtiment et de sa géométrie abrupte qui isole la rivière. Ce projet a été fait par des personnes qui méconnaissent les derniers développement de l'urbanisme à l'échelle humaine.
Autre chose, l'équipe qui présente ce projet a pris certaines idées de mes amis, les "new urbanists", parce qu'ils ont constatés qu'il faut faire un effort pour maintenir un langage architectural, et je vois qu'ils ont mis une dose de façadisme pour mettre de jolies façades ressemblant un peu au langage architectural traditionnel de Verviers. C'est un pas en avant, mais malheureusement, je ne vois pas plus qu'un effort très superficiel parce que le façadisme ne constitue pas le vrai dessein du projet. Le projet reste une typologie industrielle avec une application très superficielle de quelques éléments artistiques mais pas architecturaux. Je n'ai pas vu dans la présentation un réel effort d'appliquer le langage de construction traditionnel. Un projet qui veux réussir doit mélanger les langages architecturaux traditionnels en utilisant les méthodes de bâtir traditionnels avec les méthodes de construction contemporaine. Ce projet n'offre que des solutions très superficielles.
Malgré que je me sois assis devant l'écran pour voir les détails, ils n'en ont pas montrés. Ils ont montré très peu mais j'ai vu quelque chose de très inquiétant : c'est à dire que malgré que le projet se voit beaucoup mieux à distance, parce qu'ils ont fait ce traitement superficiel de quelques typologies traditionnelles, le rez-de-chaussée où la vie piétonne prend place est toujours de type vitre et acier, à l'image de l'architecture industrielle de l'Allemagne de 1920. Ils sont très têtus et ont insisté pour encore faire la même chose. Même vu de loin, ce bâtiment restera toujours une expérience industrielle avec d'énormes baies vitrées. Encore pire, je vois que beaucoup de bâtiments historiques sont prévus pour la démolition et ceux qu'ils promettent de sauvegarder, ils vont démolir les rez-de-chaussée pour y substituer d'énormes vitrines. Ce point n'a rien à voir avec la typologie architecturale de Verviers et de la Belgique, c'est un stylisme international que certains architectes appliquent en pensant que tout le monde l'aime alors qu'il n'en est rien.
Un de mes amis m'a affirmé qu'il faut attirer les gens à Verviers en utilisant une architecture moderne mais je ne vois rien de moderne dans une telle typologie périmée d'une Allemagne des années 1920, une typologie industrielle appliquée pour construire un tissu urbain à l'échelle piétonnale. Cela ne fonctionne pas ! Il y a quelques individus qui ont cette idée erronée que ce style industriel est attractif. Aux Etats-Unis, il existe énormément de centre commerciaux construits dans cette typologie et qui sont abandonnés, en faillite. C'est élémentaire, cela ne fonctionne pas. Le centre d'Eupen est une faillite totale car des jolies vitres avec des escaliers roulants ne suffisent pas pour le succès. Et à Verviers, je me demande qui viendra utiliser ce centre commercial. On a déjà un autre centre commercial près de la gare (NDLR: l'Outlet Mall) et c'est une faillite totale. Alors pourquoi construire un centre commercial beaucoup plus grand en centre-ville alors que le premier a déjà fait faillite ? Il n'y a aucune logique commerciale là-dedans.
Ensuite, la rue du Marteau est l'artère principale pour traverser le centre de Verviers et elle va être bloquée sans possibilité de rediriger tout le traffic. Couper la circulation de la ville sera désastreux pour tout commerce parce que cela sépare les deux parties de la ville. Je trouve dans ce point particulier un très mauvais urbanisme ou plutôt une absence totale d'urbanisme. C'est l'imposition d'une vision architecturale de personnes qui ne font pas de l'urbanisme mais qui font des petits bâtiments. Mais ici, il ne s'agit pas d'un petit bâtiment que l'on intègre dans un tissu urbain, il s'agit d'une restructuration massive du centre de Verviers et pour cela, il faut penser à une solution à l'échelle urbaine et pas seulement à l'échelle architecturale. Il me semble que ce sont des architectes qui ont préparé cela sans donner aucune solution aux problèmes d'urbanisme et sans connecter le projet proposé au tissu urbain existant. Je vois plutôt une tendance de préserver un projet qui va remplacer le tissu urbain existant avec quelque chose de nouveau.
Autre chose, un détail montre pour moi quelque chose de négatif: c'est le pont piétonnier du nouveau projet. Il y a un pont en diagonale. Nous savons très bien dans l'urbanisme qu'il y a des règles relatives aux réseaux de connexion où la distance doit être réduite au minimum pour traverser un obstacle, et ce pont en diagonale reste quelque chose d'absurde. Des architectes étoilés de par le monde ont mis ce concept de pont en diagonale dans certaines villes. Ces villes ont payés un prix hors budget pour ces projets et en sont sorties ruinées. Et des architectes reprennent ces techniques de pont en diagonale pour réemballer de vieux projets, pour faire plus moderne, mais cela me donne très peu de confiance si on voit une telle typologie négative utilisée par des professionnels pour réemballer et vendre un projet.
Il y a aussi l'usage de bonnes idées comme les jardins sur les toîts, les toîts verts, les panneaux solaires. Cette mixité de l'utilisation est utilisée dans un mode qui ne me donne pas confiance parce que les équipes d'architectes ne savent pas comment les utiliser. On a déjà fait des expériences de toîts verts et la plupart des exemples meurent très vite car cela est très difficile à entretenir. La question est de savoir si ce groupe City Mall a de l'expérience dans la conception de toîts verts ou est ce que cela consiste une fois de plus en un espèce d'emballage du projet ?
Moi qui suis un expert en espace urbain, je ne vois pas que l'espace urbain verviétois a été étudié pour fonctionner. Il ne suffit pas de définir un espace dans le plan pour qu'il fonctionne. Il faut étudier beaucoup de choses pour garantir plus ou moins le succès de cet espace urbain et ici, je ne vois pas cela. Je vois seulement un énorme bâtiment avec un espace qui reste comme un détritus, et cet espace restant est ce que l'on appelle l'espace urbain. Ce n'est pas une bonne manière de projeter un espace urbain qui va fonctionner et qui va attirer les gens. Il faut donner aux gens un espace urbain utilisable et malheureusement, on a énormément d'exemples d'espaces urbains qui ont été construits dans les derniers cinquante ans et qui ont tous fait faillite parce qu'ils sont tellement hostiles au point de vue psychologique que personne ne veut plus s'y rendre. Ils sont tous maintenant abandonnés. Le risque est énorme pour Verviers. J'ai vu par-ci par-la de petits points d'usage mixte, mais cela ne correspond pas à un véritable usage mixte. Il faudrait pour ce faire avoir un étage entier du bâtiment dédié à l'habitation et je ne vois pas cela.
 
 
Merci, professeur Salingaros, de m'avoir confié vos impressions éclairées sur ce dernier projet City-mall/ForumInvest.

05 juin 2012

Nouveau projet Ciry Mall ? Non, mon colonel !

Hier soir, environ 300 personnes se sont déplacées à l'Harmonie pour assister à la enième présentation d'un projet dans le cadre du dossier City Mall- Foruminvest.

Tout d'abord, je tiens à souligner le manque de professionnalisme ou, pire, le je-m'en-foutisme affiché par les organisateurs (City Mall et la ville de Verviers) qui n'ont pas choisi une salle qui se prête bien à ce genre de présentation. Au lieu de choisir la salle Duesberg comme par le passé, cette salle de l'Harmonie n'est pas adaptée à ce genre d'exercice. L'écran amovible est trop petit pour que l'on puisse bien voir le diaporama à partir du millieu de salle et rien n'a été prévu pour que les citoyens puissent s'exprimer clairement comme un micro baladeur, accessoire pourtant présent à Duesberg.

Ensuite, l'attitude affichée plus ou moins ostensiblement par l'échevin Alfred Breuwer courtisait tantôt avec la moquerie, le mépris ou l'arrogance. Cette attitude est réellement indigne d'un premier échevin mais bon, on ne changera pas le personnage. Franchement, à côté de lui, Vittorio Mettewie affichait bien plus de respect - ou disons une attitude plus neutre - vis à vis des citoyens que l'élu MR.

Mais passons à présent au coeur du sujet : le projet. Il faut le dire tout net, ce projet n'est pas fondamentalement différent que le précédent. Mis à part quelques aménagements purement cosmétiques, c'est un copié-collé du projet suspendu par le Conseil d'Etat. Il présente toujours les mêmes défauts à savoir :
  • Il est toujours beaucoup trop grand pour Verviers, d'autant plus que l'Outlet va bientôt être reconverti en centre commercial de retail.
  • Il est toujours un espace commercial "à l'américaine", dépendant à 100% de la voiture (d'ou le parking surdimensionné) et qui est à l'opposé de notre style de vie européen.
  • Il constitue toujours la source d'un grave problème de mobilité puisqu'il prévoit la supression de la trémie et qu'aucun autre accès direct à la place du Martyr n'existera plus suite à la mise en piétonnier de l'axe Brou-Harmonie.
  • Jusqu'à preuve du contraire, un bâtiment de la taille d'un centre commercial de ce type est à l'opposé du patrimoine wallon du point de vue architectural.
Bref, les points négatifs essentiels de ce projet sont toujours présents. Les aménagements esthétiques, comme l'élargissement de ce qui aura été le Quai Rapsat à 22 mètres et qui sera de toute façon réduit à un goulot de quatre mètres le long des murs arrières des boutiques, ne sont insérés que pour tenter, une fois de plus, de faire passer le projet auprès de la population.